Sira Baradji est une de mes belles rencontres sur les réseaux sociaux. Je l’ai découvert à travers une pétition qu’elle avait pris l’initiative de lancer dans le but de défendre le droit de porter le voile (dans le cadre d’activités sportives). Il suffit d’un minimum d’esprit critique pour comprendre que les femmes musulmanes qui portent le voile font l’objet d’un acharnement incroyable. Un acharnement qui bien souvent fait abstraction des droits des femmes : le droit à la liberté, le droit à la dignité. Et j’en passe.
Tout ça pour vous dire que j’aime voir des femmes engagées, parler c’est bien, mais agir c’est encore. Et ce, quelle que soit l’ampleur de cette action. Il ne faut rien minimiser.
Sira fait partie de ces femmes qui agissent avec conviction et détermination. C’est une battante qui a eu un parcours avec bien des embûches. Elle a vécu des épreuves très difficiles et a su se relever avec une ferme intention d’inspirer d’autres femmes à se donner les moyens d’atteindre leurs objectifs. Il y a tellement à apprendre de cette femme que nous auront deux interviews avec elle, sur des sujets differents bien entedu.
J’admire sa persévérance et c’est avec fierté que je vous présente le Hijab Talk de Sira. Parce qu’une femme voilée, c’est avant tout une femme.
Une femme d’exception pour en inspirer d’autres.
TRAITS DE PERSONNALITE
Présente toi en quelques lignes
Je m’appelle Sira Baradji, j’ai 27 ans. Je suis née en France et d’origine malienne.
À l’âge de six ans, j’ai développé un trouble du comportement alimentaire (l’hyperphagie) qui m’a conduit à manger sans cesse. Mon poids n’a cessé d’augmenter au fil des années avec une montée très importante à l’adolescence. Cette obésité a eu un impact très fort sur ma scolarité, je fuyais le regard des autres et allait très peu à l’école.
Cela-dit, j’ai toujours eu de l’ambition, je voulais être en mesure d’améliorer la situation de ma famille. En 2019, j’ai réussi le concours de médecine. Je suis actuellement étudiante en 3ᵉ année de médecine, guérie de l’hyperphagie et plus de 75 kg se sont envolés.
Je suis entrepreneure. De plus, j’ai une passion pour le « mindset » terme qui désigne l’état d’esprit, la force mentale et la motivation. Je partage tout cela sur Instagram.
J’essaie toujours de m’améliorer dans tous les domaines en me donnant à fond.
Décris-toi en 3 mots
Généreuse : j’aime énormément aider les personnes qui en ont besoin, c’est important de penser aux autres. Ma mère et mon grand-père maternel sont reconnus pour leur bonté. Ça m’inspire beaucoup et ils sont des modèles pour moi.
Tendance à la perfection : j’essaie toujours de m’améliorer dans tous les domaines en me donnant à fond. Que ce soit dans la religion, le milieu professionnel et personnel.
Active : je ne sais pas si c’est le bon terme, mon besoin de faire, créer et agir est toujours plus important. C’est vraiment nécessaire à mon bonheur et à la fois ça me complique pas mal mon quotidien.
Quelles sont les valeurs qui te tiennent le plus à cœur ?
La solidarité, il est essentiel pour moi de penser aux autres et les soutenir dans les épreuves difficiles.
La simplicité, on a énormément de choses à notre portée, mais il faut rester simple et ne pas changer de personnalité en fonction du contexte.
L’empathie, il faut toujours se mettre à la place de l’autre pour le comprendre et se mettre dans une position qui nous permet de percevoir ce qu’il ressent.
La discrétion, il faut savoir se préserver quelle que soit sa vie personnelle; avoir son jardin secret et l’ouvrir aux personnes les plus proches de nous. Je vois pas mal de dérives sur les réseaux sociaux et j’espère parvenir à impulser une dynamique positive sans m’exposer très bientôt.
HIJAB STORY
Un mois après le turban, je prends un voile à ma mère et sors avec, depuis je n’ai plus jamais retiré mon voile
A la grande surprise de tes parents, tu as commencé à porter le voile très jeune. Tu avais 14 ans et c’était ton choix. Comment as-tu vécu ce choix de porter le voile?
À l’âge de 14 ans, alors que nous résidons dans une cité en région parisienne, j’ai eu une montée de foi très importante.
Je voulais vraiment pratiquer la religion et devenir meilleure. J’ai acheté un foulard et j’ai commencé à le porter. Mes parents étaient très étonnés, ma mère l’a toujours porté, mais moi non. J’ai énormément aimé cette période, parce que l’ambiance dans la cité était vraiment saine.
Je pouvais porter mon voile sans craindre le regard des autres, il y avait même d’autres jeunes filles qui le portaient.
Ma foi était très haute, je faisais mes prières et portait mon foulard.
Je pouvais réellement être la personne que je voulais. Je me projetais dans le futur en étant toujours plus pieuse et en apprenant plus tard à lire l’arabe.
En passant, un surveillant m’a demandé pourquoi je portais « ça » sur la tête, en parlant de mon voile. Je lui ai répondu que j’aimais le porter.
Deux ans plus tard (à 16 ans), tu intègres un nouveau lycée. Et quelques temps après, tu prends la décision de retirer le voile. Parle-nous de ce qui t’a poussé à retirer ton voile. Et comment l’as-tu vécu?
Deux ans plus tard, je décide de m’inscrire dans un lycée à 1 h 30 du domicile de mes parents. C’était dans le but d’avoir plus de chance de réussir dans mes études. Malheureusement, dans le lycée à proximité de ma cité, les chances que je réussisse mes études étaient très limitées. En effet, beaucoup d’étudiants ne comprenaient pas l’importance de réussir et il y avait des blocus, des professeurs violentés. Vraiment pas un cadre propice à la réussite.
Ce choix d’étudier dans cette ville, qui a un niveau de vie très élevé, offrait un beau cadre de travail, mais l’ambiance était particulière.
Le premier jour d’école, en seconde générale, je suis arrivée avec mon voile. Tout à coup, j’ai ressenti quelque chose de nouveau, un mal-être. Le regard des autres était pesant, j’étais très différente d’eux. Obèse, jeune fille noire et voilée. Dans les allées du lycée, j’avais beaucoup de mal à m’identifier à des personnes qui me ressemblent.
À l’entrée du lycée, beaucoup d’étudiants avaient leurs scooters « vespa » à la mode et d’autres fumaient. Le niveau de vie était vraiment différent.
En passant, un surveillant m’a demandé pourquoi je portais « ça » sur la tête, en parlant de mon voile. Je lui ai répondu que j’aimais le porter.
Au départ, je n’avais pratiquement pas de repère dans cet établissement, personne à qui m’identifier. Nous n’avions pas les mêmes centres d’intérêt, ni la même éducation. Je portais des vêtements longs et amples, pas de vêtements à la mode ou chers. Très souvent, on me dévisageait de la tête aux pieds.
Puis malheureusement, un moment est venu où je n’arrivais plus à assumer ma différence.
Cela a commencé par retirer le voile dès que j’arrivais à la gare de cette ville bourgeoise. J’allais donc au lycée sans mon voile, puis dans le train, je le remettais. Ce comportement avait pour but de me sentir mieux, moins différente dans cet établissement, malheureusement, c’est mon identité que je perdais.
Finalement, j’ai complètement retiré mon voile à 16 ans.
Changer pour m’intégrer, ne plus subir le regard oppressant des autres a été une terrible erreur. Je regrette de ne pas avoir enduré, car en le retirant je n’étais pas moi-même. J’essayais d’être une personne que je n’étais pas.
LE VOILE ET LE REGARD DES AUTRES
En 2019, tu as décidé de porter à nouveau le voile. Pourtant, tu vis toujours dans un environnement assez hostile aux femmes portant le voile, la France. Qu’est-ce qui a été différent cette fois-ci?
En 2019, après des années d’études et une carrière infirmière de 4 ans sans voile, je décide de garder mes cheveux naturels. Ensuite, régulièrement je tresse mes cheveux et prends soin d’eux. Puis, vient le jour où je décide de porter le turban. Je m’y habitue, je sors toujours avec un foulard autour de mes cheveux. Enfin, un mois après le turban, je prends un voile à ma mère et sors avec, depuis je n’ai plus jamais retiré mon voile. J’ai retrouvé mon identité, qui je suis.
Le regard des autres n’a plus d’impact sur moi.
Je prie et je souhaite devenir encore plus pieuse. Les épreuves de la vie ont renforcé ma foi. Toutes les difficultés que j’ai surmontées sont une bénédiction d’Allah.
LECONS DE VIE
Quelque temps plus tard, tu réussis un concours de médecine qui te permet de pratiquer la profession de tes rêves. Aimerais-tu partager une ou plusieurs leçons que tu as pu tirer de cette expérience ?
Alors j’ai réussi 2 concours dans ma vie :
- 2013 : Le concours infirmier ancien se composait d’une épreuve écrite et d’une épreuve orale. Aujourd’hui c’est principalement sur dossier. Cependant, les valeurs fortes recherchées par les professeurs sont : l’empathie, la bienveillance et le respect de la dignité de la personne soignée. Cette profession m’a rendue mature, consciencieuse et rigoureuse.
Il faut vraiment être organisée et être capable de gérer parfois une grande charge de travail en tenant compte des priorités.
- juin 2020 : concours de médecine. Mon rêve à 18 ans était de devenir médecin. Après avoir travaillé 4 ans comme infirmière, je me suis inscrite à l’université pour faire le concours de médecine. L’année du concours a été toute une année de révision intensive, je dormais 5 h par nuit. J’ai travaillé chaque jour de l’année sans aucun jour de repos. Mes efforts ont payé, j’ai réussi le concours et j’ai été admise en 2ᵉ année de médecine. Je n’ai dit à personne que je passais ce concours. J’ai simplement dit à ma famille et mes amis que je quittais l’hôpital pour passer un concours me permettant ensuite d’être cadre supérieur à l’hôpital. J’étais toute seule dans cette épreuve si difficile qu’est le concours de médecine, mais ça m’a permis de me surpasser.
RELEVER LES DEFIS
Dans le cadre de ton travail, rencontres-tu des défis liés directement à ton voile ? Si oui, lesquels ? Et comment y fais-tu face ?
En France, dans les établissements de santé, il est très souvent demandé de retirer le voile. Cela est appliqué par les cadres de santé.
A l’hôpital public, il est très rare que les cadres nous laissent porter le voile.
Moi, je viens toujours avec un col roulé et un turban. Le turban est beaucoup plus accepté que le voile, mais même parfois certains cadres exigent le retrait du turban. Lorsque je travaille en tant qu’infirmière, je préfère aller dans le privé, car ils sont beaucoup plus tolérants que dans le public.
Les femmes qui portent le voile sont de plus en plus marginalisées. Cela peut être assez intimidant. Qu’aimerais-tu dire aux femmes qui ont le désir de porter le voile mais n’osent pas par crainte d’être stigmatisées et marginalisées à leur tour ?
J’aimerais dire à toutes ces femmes de s’affirmer, osez être-vous ! Le port du voile est l’expression de notre liberté, si ce désir est ardent faites-le, tout le reste sera simplifié. C’est terrible de ne pas pratiquer sa foi pour plaire aux autres, j’en ai fait l’expérience, c’est comme si je n’avais pas été en vie toutes ces années sans mon voile. Depuis que je le porte de nouveau, je suis tellement épanouie et heureuse. La différence dérange, dans un endroit où vous êtes minoritaires par le port d’un signe quelconque, il y aura toujours des regards, des critiques. Il faut s’armer de force et ne pas aller dans leurs sens. C’est à nous de montrer nos compétences, nos qualités et notre sagesse avec le voile. C’est ainsi que les regards pesants et les préjugés infondés sur le voile changeront.
UN DERNIER MOT
Pour finir, peux-tu partager une citation qui t’inspire vraiment en ce moment ?
La seule limite à la hauteur de vos réalisations est la portée de vos rêves et votre volonté de travailler dur pour les réaliser.
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