A la découverte de l’auteure et co-scénariste de la série Karma, Afi Diop Anne

Afi est une femme bosseuse et discrète. Elle est talentueuse ..i mean , obviously ! Et reste persuadée que la bienveillance entre femmes existe bel et bien. D’ailleurs, on le ressent très clairement à travers l’histoire de la série Karma. La scène des retrouvailles des 4 actrices principales (Ndeye Marie, Virginie, Amy Léa et Mai) a parfaitement clôturé la deuxième saison. C’était un beau rappel que l’amitié sincère peut soulever des montagnes. C’est ma scène préférée de cet épisode !
A travers cet interview, vous découvrirez une femme passionnée ayant un parcours impressionnant. Je suis admirative devant sa ténacité et sa persévérance. Elle a su transformer les moments les plus difficiles de sa vie en source d’inspiration. Il y a beaucoup à apprendre de cette femme. Notamment que chaque peut-être surmontée de façon constructive.
Bien entendu, on ne peut parler du succès de Karma sans mentionner le talentueux réalisateur et co-scénariste Elhadji Cissokho. Mais aujourd’hui, on va à la source même de ce succès en discutant avec la femme ayant écrit l’histoire originale la série Karma.
Mes Jigeen, c’est avec plaisir et fierté que je vous présente Afi Diop Anne.

Une femme d’exception pour en inspirer d’autres.

TRAITS DE PERSONNALITE

Décris-toi en trois mots :
Passionnée : je pense que c’est le mot qui me caractérise le mieux. Que ce soit mes activités, mes relations ou même simplement mes interactions au quotidien, je suis presque toujours guidée par la passion et j’agis avec le cœur, sans forcer.
Déterminée : c’est sans doute ce que diraient sur moi les personnes qui me sont proches. Pour être exacte elles diraient que je suis très têtue, mais je préfère dire « déterminée » ☺. Quand je veux quelque chose, je mets tout en œuvre pour l’obtenir. Je ne me contente pas de rêver, je fais en sorte de réaliser mes rêves.
Sociable : Je suis très ouverte. J’interagis facilement avec les gens, je me sens à l’aise, et je fais en sorte qu’on soit à l’aise avec moi. Certains me reprochent d’être trop ouverte pour mon propre bien, mais bon, c’est comme ça, je n’y peux rien.

J’ai un amour et une profonde admiration pour Dieu. J’ai foi en lui. Je lui parle souvent, me confiant à lui comme à un ami.

Quelle est ta plus grande source de motivation ?
Dieu et ma famille.
Au-delà de la religion, j’ai un amour et une profonde admiration pour Dieu. J’ai foi en lui. Je lui parle souvent, me confiant à lui comme à un ami ☺. Je me sens toujours apaisée et confiante quand je me tourne vers lui. Il est mon point central, mon socle, et le fait de savoir qu’il est toujours là, à mes côtés, est l’un des moteurs de ma vie.
L’autre est ma famille. Le sourire de mes enfants, la satisfaction de ma maman ainsi que de mes frères et sœurs qui sont toujours avec moi, à mes côtés, même lorsqu’ils ne sont pas forcément d’accord avec mes choix. Leur bonheur me motive plus que tout. Tout comme celui de mon mari, mon partenaire comme j’aime l’appeler. Il croit en mes rêves, me pousse à les réaliser puis me supporte même quand je suis insupportable, et je le suis souvent ☺. Je veux le rendre fier.

Construire de nouvelles générations de jeunes filles qui dépasseront les problèmes de complexe physique et identitaire pour se concentrer sur un bien plus grand objectif.

L’HISTOIRE DE KARMA

En 2013, tu as créé une page Facebook où tu partageais des chroniques intitulées Cendres. C’est d’ailleurs le nom de la page en question. Tu as attiré un grand lectorat, qui a eu le privilège de lire Karma lorsque tu l’écrivais en 2015. C’était avant son adaptation en série TV. Peut-on dire que tes plus ancien.ne.s lecteurs et lectrices ont une grande longueur d’avance sur les autres téléspectateurs (comme moi) ? Ou bien, il y aurait-il un grand écart entre les deux versions ?
Les lecteurs et lectrices, ceux qui se souvenaient de l’histoire en tout cas, avaient une longueur d’avance sur l’évolution des personnages et de leurs relations, mais ont dû être surpris.es de voir que les choses ne se passaient pas toujours exactement comme dans leurs souvenirs. Il y’a beaucoup de similarités tout comme il y’a eu beaucoup de différences. A un moment donné, il ne s’agissait plus de dérouler exactement les mêmes évènements que dans l’histoire originale, mais d’en trouver qui correspondaient plus aux attentes d’un public de téléspectateurs. On note notamment de grandes différences dans l’évolution de la relation entre Majib et Amy qui, dans l’histoire originale, n’ont par exemple jamais entretenu de relations intimes avant leur mariage. C’était quand même un élément assez important de l’histoire qui, une fois changé, redéfinissait l’évolution de leur relation. Par ailleurs, certains évènements ont été racontés dans un contexte différent. Par exemple, la scène de l’ascenseur entre Abdoul Majib et Amy. Dans l’histoire originale, ils étaient déjà mariés et la scène où elle lui parlait pour la première fois de son passé avec son beau-père s’est déroulée chez eux dans une salle de bain. Il y a également eu l’arrivée de quelques nouveaux personnages tels que Malika ou Bathie Massamba, afin de pimenter les choses…
Je pourrais citer d’autres exemples , et je reconnais que pour une auteure comme moi il n’a pas toujours été facile d’accepter les changements. Mais j’ai trouvé assez intéressant pour les lecteurs et lectrices d’avoir deux versions d’une même histoire. En espérant qu’ils sont du même avis.

Dans l’histoire originale, ils étaient déjà mariés et la scène où elle lui parlait pour la première fois de son passé avec son beau-père s’est déroulée chez eux dans une salle de bain.

KARMA, DE L’HISTOIRE A L’ADAPTATION EN SERIE

En 2018, tu rencontres le directeur de Marodi pour lui présenter le projet de Karma en série TV. Il a tout de suite vu le potentiel et l’aventure de la série Karma a ainsi débuté. A cet instant précis, quels étaient tes objectifs avec la série Karma ? Considères-tu les avoir tous atteints, et pourquoi?
Certains des objectifs que j’avais pour la série Karma au début ont été revus en cours de route. Au départ, je tenais vraiment à faire une série qui respecterait au maximum l’histoire originale. Et pour ça j’étais prête à me suffire d’un public restreint car ce qui a toujours été important pour moi c’est de faire ce que j’aime sans me demander si ça allait plaire au plus grand nombre. Tant que j’avais des personnes que je pouvais embarquer dans mon univers, j’étais satisfaite. En tant qu’auteure c’est comme ça que j’ai toujours fonctionné.
Cependant, la production audiovisuelle répond à certaines normes qui ne correspondent pas forcément à ma manière de voir les choses, et que j’ai dû accepter. Le public est la cible et une fois qu’on a décidé de leur proposer un contenu, ce contenu en question ne nous appartient plus. La série « Karma » ne m’appartenait plus, elle appartenait au public. Lorsque j’ai compris ça, je me suis fixé un nouvel objectif qui était tout simplement de satisfaire ce public. Et cet objectif, oui je crois que nous l’avons atteint.

Il y a également eu l’arrivée de quelques nouveaux personnages tels que Malika ou Bathie Massamba, afin de pimenter les choses…

LA CONFIANCE EN SOI

En fouillant sur la page Facebook Cendres, je suis tombée sur ta publication qui consistait à informer ta communauté du casting pour la série Karma. On ne peut pas manquer la mention TEINT NATUREL EXIGE ! C’est un point que je salue. Et j’aimerais savoir ce que ça représente pour toi.
En effet c’était très important et même essentiel pour moi d’avoir un casting de filles qui puissent inspirer au maximum sur des aspects que je juge importants tels que la confiance en soi, l’amour de soi, ce dans la plastique la plus naturelle. Et personne n’ignore le fait qu’il existe bel et bien un problème à ce niveau dans nos sociétés africaines. Beaucoup de jeunes et moins jeunes femmes s’adonnent à la pratique de l’éclaircissement de la peau pour avoir le teint « parfait » répondant à une norme tristement maintenue par les médias. Je voulais que Karma fasse partie des rares projets télévisuels qui montrent une autre image de femmes africaines, fortes, indépendantes, belles, et naturelles. Ce sont ces types de représentations qui, je l’espère, contribueront à construire de nouvelles générations de jeunes filles qui dépasseront les problèmes de complexe physique et identitaire pour se concentrer sur un bien plus grand objectif : conquérir et diriger le monde.

Dès le début du projet, on a compris avec Mass qu’un point essentiel pour la réussite de Karma était son casting.

LE SUCCES DE LA SERIE KARMA

J’en profite pour évoquer encore Marodi pour le travail incroyable qu’ils ont fait avec Karma.

Aujourd’hui la série Karma connait un succès international. Je vois sur des pages Instagram (par exemple @aurorechitchats), des femmes qui cherchent à apprendre le wolof pour être moins conditionnées par la version avec les sous-titres ? ! L’impact de cette série est juste énorme. Comment le vis-tu ? Et est-ce que tu t’attendais à un tel succès?
Le succès de Karma a atteint un niveau auquel je ne m’attendais pas, surtout avec la saison 2. Et je m’attendais encore moins aux impacts tels que le fait de voir des personnes non sénégalaises qui font tout pour comprendre le wolof, c’est juste incroyable et j’en suis vraiment fière. J’ai encore du mal à réaliser tout ce qui se passe. J’en profite pour évoquer encore Marodi pour le travail incroyable qu’ils ont fait avec Karma. J’ai eu le plaisir de découvrir une équipe de bosseurs avec à leur tête un visionnaire qui ne se repose jamais et pour qui j’ai beaucoup d’admiration, le directeur Mass Ndour. Il a su voir l’intérêt de produire Karma et a mis les moyens qu’il fallait pour en faire une œuvre à succès. Il y’a également une personne qu’on ne présente plus car on ne peut plus parler de Karma sans parler de lui, le réalisateur, directeur artistique et co-scénariste El Hadj Cissokho. C’est juste un artiste pétri de talent qui a fait de Karma son projet, et a tout donné pour sa réussite.
Par ailleurs, le succès de Karma n’aurait pas pu se faire sans son équipe technique que je remercie et ses incroyables acteurs et actrices. Dès le début du projet, on a compris avec Mass qu’un point essentiel pour la réussite de Karma était son casting. Il fallait qu’on prenne notre temps et que ce soit très bien fait. Aujourd’hui j’ai le plaisir de voir que c’est l’un des éléments qu’on a le plus réussis. Il faut savoir que la plupart des jeunes acteurs et actrices de Karma ont débuté avec cette série ou ont eu peu d’expérience cinématographique auparavant. Ça ne les a pas empêchés d’incarner leurs rôles à merveille, et de connaître une évolution vraiment impressionnante au point d’être aujourd’hui comparés aux plus grands. Ils sont une fierté. Ils ont fait un magnifique boulot, et en tant qu’auteure de la série je leur en suis sincèrement reconnaissante.

La série « Karma » ne m’appartenait plus, elle appartenait au public.

Tu es auteure et co-scénariste de la série Karma, et peu de gens le savent. On constate même que dans le générique de la série, ton prénom ainsi que ton nom sont remplacés par Cendres. Pourquoi ce choix de rester dans l’anonymat ?
Avant que tu ne répondes, j’ajoute que je suis d’autant plus honorée que tu aies accepté de m’accorder cette interview.

Déjà merci à toi Fama d’avoir pensé à moi pour cette interview. C’est un plaisir pour moi de répondre aux questions d’une femme dont l’objectif premier est le « woman empowerment ». Tous ceux qui me connaissent savent à quel point ce sujet m’est cher.
Au début de la série Karma j’ai fait le choix de garder le pseudo « Cendres » pour deux raisons. D’abord parce que tout a commencé avec Cendres, la page Facebook sur laquelle je publiais mes histoires depuis 5 ans déjà. Les personnes qui suivaient les histoires m’appelaient Cendres. Je m’y étais habituée et c’était donc pour moi plus naturel de l’utiliser pour le générique de la série. Ensuite parce que j’ai toujours eu du mal avec le fait d’être connue par le grand public, moi Afi. C’est la raison pour laquelle j’étais déjà anonyme en tant qu’auteure et au début de la série je n’étais toujours pas prête à me passer complètement de cet anonymat. C’était une façon pour moi de me « protéger » en quelque sorte. Aujourd’hui j’ai beaucoup moins de mal.
J’ai conscience du fait qu’une large part du public de Karma ne connaît pas mon rôle dans la série. Mais ça n’a jamais été mon objectif et les personnes qui ont aujourd’hui la notoriété causée par Karma méritent amplement cette reconnaissance.

L’ECRITURE, UNE THERAPIE

Tu as commencé à écrire (Cendres) en 2013, après des moments très difficiles : décès de ton père, naissance d’un bébé prématuré dont tu devais te séparer chaque jour, et un divorce. Karma est une série fictive, mais la mort du personnage d’Anna (la cousine d’Amy Léa) est inspirée d’une amie à toi, qui elle aussi, est décédée à 19 ans. Serait-il juste de dire que l’écriture est une sorte de thérapie pour toi ?
Je l’ai une fois dit sur la page à mes lecteurs et lectrices, « Cendres » a véritablement été mon divan de psy. J’ai créé la page et écrit la première histoire « Cendres » pour me confier et me vider de beaucoup d’émotions vécues les années qui ont précédé. D’abord le décès de mon père que j’ai raconté dans « Cendres », la naissance prématurée de mon fils la même année que j’ai racontée dans « Doux-amer » et beaucoup d’évènements liés à mon premier mariage, dans ces deux premières histoires. J’étais en cendres lorsque j’ai commencé l’aventure et je me suis progressivement relevée et reconstruite grâce à elle. Je ne saurais jamais décrire toute la reconnaissance que j’éprouve pour toutes les personnes qui m’ont lue, ont apprécié, se sont retrouvées dans mes histoires et m’ont aidée à guérir. J’ai une place très spéciale dans mon cœur pour le public de lecteurs et lectrices de « Cendres ». Certaines personnes sont même devenues des amies.
Pour Karma, je voulais rendre hommage à Khady, ma cousine et amie représentée par le personnage de Anna et décédée au même âge qu’elle. C’est d’ailleurs son prénom que j’ai donné au personnage principal de Doux-Amer, ma deuxième histoire, mais pour moi ce n’était pas suffisant. Il fallait que je parle encore plus du lien qui nous unissait, et de l’amitié en général. D’où le lien entre les 4 principaux personnages féminins de Karma, qu’en réalité je vis avec mes trois plus chères amies.

CURSUS UNIVERSITAIRE

On aurait tendance à croire que tu as un cursus littéraire, alors que tu es ingénieur en mécanique et matériaux. Comment as-tu développé ton talent d’auteure ?
Je ne saurai jamais répondre à cette question (rires). Car je ne me suis pas défini de trajectoire, tout est venu naturellement. J’ai eu un parcours scolaire scientifique que j’ai adoré, avec à la clef un diplôme d’ingénieur en mécanique et matériaux. Tout en ayant toujours eu une passion pour le littéraire qui m’a emmenée à gagner des concours et à m’adonner à l’écriture depuis mon enfance. J’aime la science, j’aime le littéraire. Et quand on aime, on ne compte pas ☺.

Les femmes en général, africaines en particulier, subissent au quotidien une pression sociale, une charge physique et mentale que les hommes ne connaissent pas.

LA PRESSION QUI PESE SUR LES FEMMES

Amour, Carrière, Famille. On a tendance à dire que les femmes doivent faire un choix parmi ces trois aspects importants de leur vie. Toi, tu es une femme mariée, mère de trois enfants (dont deux en bas âge), auteure, scénariste; tu es aussi IT Manager. Je me demande à quel moment tu dors ? mais voici ma question : Que penses-tu de cette pression qui pèse sur les femmes sur le plan social et personnel ?
Je ne dors pas ^^.
Plus sérieusement, je ne me suis jamais imposé de limites en tant que femme. Mes parents, pour qui j’éprouve une énorme reconnaissance, ne m’ont pas élevée ainsi. J’aime les défis et le fait de me renvoyer à ma condition de femme m’a toujours encore plus boostée à aller au-delà de mes limites. C’est grâce à ça que j’en suis où j’en suis aujourd’hui.
Les femmes en général, africaines en particulier, subissent au quotidien une pression sociale, une charge physique et mentale que les hommes ne connaissent pas. Ce qui fait qu’elles doivent fournir beaucoup plus d’efforts pour les mêmes résultats : réussir leur famille et leur carrière. C’est une certaine injustice, mais nous avons la chance de vivre dans une époque où les injustices se dénoncent plus souvent et les situations évoluent petit à petit.

Ne laissez jamais quelqu’un vous dire « vous êtes une femme, donc vous ne pouvez pas… ».

UN DERNIER MOT

Bienvenue dans la Jigeen Family. Qu’aimerais-tu dire aux femmes de cette belle communauté ?
Je suis ravie de rejoindre cette famille. Et j’ai envie de dire à toutes les Jigeen ceci : les seules limites qui existent autour de vous sont celles que vous vous imposez. Que vous vouliez être ou devenir médecin, cheffe d’entreprise, femme au foyer, artiste, mécanicienne, épouse, maman solo ou en couple, etc. TOUT est une question de choix. Ne laissez jamais quelqu’un vous dire « vous êtes une femme, donc vous ne pouvez pas… ». Vous pouvez tout. Votre vie est la vôtre à vous seule. Ne vous laissez pas dicter votre vie.

Fama
Fama

Founder and Editor in Chief

I'm a thirty something years-old woman trying to inspire other women and get inspired myself.