Hijab Talk | Remettre les pendules à l’heure avec Idil Kalif, sociologue et accompagnatrice hors milieu scolaire

Aujourd’hui, nous parlons à nouveau du voile mais sous un angle différent.

Si vous êtes une habituée de ce blogue, vous savez déjà que toutes mes interviews “Hijab Talk” ne portent pas uniquement sur le voile. C’est pour une raison très simple, les femmes musulmanes qui portent le voile sont bien plus qu’un voile. Bien que ce bout de tissu fasse partie de leurs vies, il ne les définit pas. Ce sont avant tout des femmes, avec des passions, des rêves, des réalisations, des valeurs, des ambitions, des sentiments… Comme tout autre femme, elles ont des droits, le droit d’exister pleinement, le droit à la liberté , le droit au respect, au loisir , à l’épanouissement, etc.

Il reste du chemin à parcourir pour le respect des droits de la femme, mais on y croit. Pas parce que la société dans laquelle nous vivons nous inspire confiance, mais parce que nous sommes conscientes, ou prenons conscience de notre potentiel. A travers l’histoire, nous avons compris que l’union fait la force. Et aujourd’hui, nous sommes nombreuses à agir dans une optique de solidarité féminine. Je pense donc qu’il serait juste de dire que nous sommes sur la bonne voie. Bien qu’il y ait encore de nombreux sujets qui nous divisent, ces mêmes sujets font parfois partie de ce qui nous uni. Une union qui se nourrit d’échanges et d’actions dans un but commun : la progression des femmes, toutes les femmes.

Ainsi, chacune apporte sa pierre à l’édifice. Pour ma part, j’ai choisi le dialogue et le partage. Ce n’est qu’une goutte dans l’océan, mais si ne serait-ce qu’une seule de mes entrevues a un impact positif auprès d’une de mes lectrices; alors mes efforts ainsi que ceux de mes invitées auront porté fruit.

C’est dans cette même lancée que j’ai invité Oumalker Idil Kalif, une femme exceptionnelle que j’ai rencontré lors d’un évenement il y a presque trois ans. Nous avons longuement échangé au sujet du voile et j’aime beaucoup sa vision; à la fois simple et profonde. Je précise qu’entre autres, elle est sociologue et cofondatrice du collectif Femmes Noires Musulmanes au Québec. Idil est une femme très engagée qui ne se contente pas de rêver d’un monde meilleur, mais pose des actions concrètes avec beaucoup de convictions. Elle se présentera avec ses propres mots, mais avant de vous plonger dans l’interview, j’ai un petit conseil à vous donner : asseyez-vous confortablement. Prenez une bonne tasse de thé (ou café) et soyez prête à recevoir une bonne dose d’inspiration car son partage est digne d’un livre de développement personnel.

Sans plus tarder, voici Oumalker Idil Kalif. Une femme d’exception pour en inspirer d’autres.

Photographe : Manikmati Photography

Le corps des femmes est discuté et contrôlé comme si c’était un bien public, surtout celui des femmes noires.

Présente toi en quelques lignes

Oumalker Idil Kalif, femme noire, sociologue et accompagnatrice hors milieu scolaire. Née à Djibouti, je suis une enfant de l’Afrique devenue femme dans la diaspora africaine. Mes parents, de fiers Africain.e.s, ont immigré au Québec dans les années 1980, alors que j’avais à peine deux ans. Mon enfance et adolescence vécues au Québec m’ont poussé vers un amour pour la sociologie. À titre de sociologue, chargée de projet et tutrice, je crée des espaces et outils à la fois conceptuels et pragmatiques afin de tempérer les inégalités sociales pour les personnes qui en sont victimes. J’ai aussi étudié la coopération internationale et ses retombées dévastatrices pour l’Afrique. En quelques mots, je suis une femme qui chemine tous les jours avec pour intention de reconnaître ses propres angles morts dans toutes ses prises d’action féministe.

Tous les jours, nous sommes toutes exposées aux influences extérieures qui nous poussent à soutenir des convictions, ou à s’en éloigner.

Parle-moi de 3 choses essentielles à ton bien-être 

Mon travail implique principalement l’organisation communautaire, l’écriture et la recherche. L’effort quotidien que demande mes engagements exige une routine renforcée à travers l’activité physique hebdomadaire, une nutrition équilibrée et un sommeil réparateur. Mon bien-être personnel dépend dès lors d’un espace qui reflète le caractère de mon essence, soit une personne calme qui tend à vivre dans sa tête et ses pensées, tout en priorisant l’action concrète. Pour sortir de ces pensées qui peuvent parfois devenir envahissantes, je bouge ! Rien de tel que le mouvement du corps pour me replacer les idées, trouver l’inspiration d’écrire et avancer dans mes projets. Par ailleurs, je consomme la viande le moins possible depuis quelques années et je remarque le grand bien que cela m’apporte. 

Les silences sont aussi indispensables à mon cheminement. Quotidiennement, j’ai besoin de ces moments de grand silence pour me recharger afin de pouvoir me sentir corps, âme et esprit. 

Enfin, l’art et la nature sont les engrais qui rendent ma vie intéressante.

 

Quotidiennement, j’ai besoin de ces moments de grand silence pour me recharger afin de pouvoir me sentir corps, âme et esprit. 

Si je te dis solidarité féminine, qu’est ce qui te vient à l’esprit ?  

À mon avis, la solidarité entre femmes relève surtout de la présence d’esprit, à ne pas confondre avec la présence physique. Soit une compréhension que les conditions de vie des femmes varient, sont changeantes avec le temps et méritent d’être considérées. 

Selon moi, cette solidarité dépend de trois éléments importants : la réciprocité, la reconnaissance de ses propres limites et un rapport d’égale à égale. 

La réciprocité est cruciale car les relations sont des balanciers qui nécessitent des contributions de chacune, en considération des capacités de chacune bien sûr. Avec le temps, j’ai appris qu’honorer mes propres besoins me permet de respecter ceux des femmes qui m’entourent. Toutes les fois où j’ai voulu assumer des responsabilités qui dépassaient mon niveau d’énergie, j’ai mis à risque le bien-être d’une autre femme qui comptait sur ma présence d’esprit. La majorité des « sœurs » avec qui j’entretiens des relations de grande confiance dans mon intimité sont des personnes qui communiquent clairement leurs attentes vis-à-vis de ma personne. Cette communication facilite grandement le renforcement d’une confiance saine entre nous. Ce niveau de transparence indispensable à la solidarité est plus difficile à établir en milieu professionnel à cause des intérêts économiques et individuels qui sont en jeu.  Je pense tout de même qu’il est possible de s’épauler sur le marché du travail. 

Heureusement, avec les années, j’ai eu la chance de travailler aux côtés de femmes qui avaient le partage comme valeur centrale. Je dois avouer que ce n’est pas toujours simple, mais ça reste très possible. 

J’ai appris qu’honorer mes propres besoins me permet de respecter ceux des femmes qui m’entourent.

En tant que femme musulmane qui ne porte pas le voile, peux-tu me dire ce que le voile représente pour toi ? 

Contrairement à moi, la majorité des femmes au sein de ma famille portent le voile. Sur le plan plus personnel, le voile renvoie à une douce familiarité que je ne questionne pas car il m’a été présenté comme un choix. Des femmes choisissent de le porter ou pas et ceci se traduit très peu souvent par des discussions virulentes au sein des familles. Avec sa compréhension religieuse et son évolution spirituelle distinctes, chaque femme incarne la pudeur comme elle le souhaite, tout en exerçant son droit de pratiquer une religion ou pas. C’est ma compréhension des choses.

 Cependant, depuis quelques années, au Québec surtout, il est davantage question de discuter des perceptions et/ou des névroses sociétales liées au voile porté par des femmes musulmanes. En tant que femme musulmane qui ne porte pas le voile dans l’espace public, je vis l’islamophobie et le sexisme autrement. 

Je resterai à jamais solidaire de mes sœurs qui choisissent de porter le voile publiquement. Une solidarité que je souhaite voir renforcée dans la réciprocité malgré nos choix différents. La vérité qui n’a jamais été discutée au Québec repose sur le fait que le voile est porté par plus de femmes que les perceptions veulent le laisser croire. Parce que le voile est devenu un symbole religieux à abattre, en tant que collectivité, nous ne nous sommes pas attardés à essayer de comprendre ce que le port du voile veut dire pour toutes les femmes qui évoluent dans la prière. Portant le voile ou pas, le voile est porté par bon nombre de femmes lors de la prière, pas que sur la place publique. Nous tendons trop souvent à l’oublier.

 Sur les plans social et légal, les instances politiques ont fait le choix conscient de diviser la population autour d’un faux problème et s’en est suivi des caricatures insipides du symbole du voile que portent les musulmanes, sans considération des nuances. Les polémiques sans direction entourant le port du voile ont malheureusement eu pour finalité de renforcer une islamophobie et un sexisme déjà omniprésents depuis la création de l’État québécois.

 Enfin, en tant que collectivité, le vrai problème avec lequel nous restons toujours aux prises relève de l’incessant contrôle du corps des femmes comme pratique socio-historique qui mine le bon fonctionnement de la mécanique des droits et libertés.

 

Comment te sens-tu en présence d’une femme portant le voile ?

Je n’ai pas de ressenti en rapport au fait qu’une autre femme porte le voile. Comme mentionné plus tôt, le voile fait partie de ma vie et de mon imaginaire. Il ne vient en rien choquer ou perturber ma compréhension du monde. 

Le voile existe et relève à la fois du choix et du droit individuel, simplement.

Personne ne m’a préparé pour ce qui m’attendait entre ces murs universitaires.

On parlait plus haut de solidarité entre femmes, selon toi qu’est ce qui permettrait de faire évoluer la situation de la femme de façon à ce que le droit de se vêtir en accord avec ses valeurs ne soit plus un sujet à débattre ? 

Sachant que le patriarcat et le racisme tendent à vouloir forger toutes nos interactions, le bouclier le plus efficace des femmes restera toujours la solidarité qu’elles choisissent de renforcer entre elles. Les idées patriarcales sont à dissoudre et abolir, même lorsqu’elles vivent dans l’esprit des femmes elles-mêmes. Les vestiges structurels du colonialisme et de l’esclavage toujours en place font en sorte que le corps des femmes est discuté et contrôlé comme si c’était un bien public, surtout celui des femmes noires. La compréhension commune que le corps des femmes n’appartient qu’à elles-mêmes se doit avant tout d’être acquise par les principales concernées. Ceci, question de pouvoir faire front commun malgré nos différences identitaires religieuses, sexuelles, etc. L’histoire a démontré que le monde n’a rien donné aux femmes que ces dernières n’aient eu à arracher d’elles-mêmes pour assurer leur bien-être.

 

Une femme peut être porteuse de croyances religieuses tout en participant à la fois à l’avancement des savoirs et à la mobilisation communautaire.

Concernant ton développement spirituel, as-tu déjà été conditionnée par des éléments externes et hors de ton contrôle ? Si oui, quel en est l’impact et comment y réagis-tu ?

La spiritualité prend différentes formes dans mon quotidien. Mon alimentation, mes habitudes quotidiennes, la nature des relations que je choisis d’entretenir (ou pas) sont des exemples d’éléments qui renforcent ma spiritualité au quotidien. 

Tous les jours, nous sommes toutes exposées aux influences extérieures qui nous poussent à soutenir des convictions, ou à s’en éloigner.

 Pour ma part, surtout en début de carrière, la culture universitaire dans laquelle je baigne depuis un moment a beaucoup altéré ma spiritualité, très négativement par moments. Sans en avoir pleine conscience, j’avoue m’être perdue dans un monde universitaire hostile à l’ensemble de mes identités : femme, noire et musulmane. Personne ne m’a préparé pour ce qui m’attendait entre ces murs universitaires. Les premières années passées en milieu de recherche m’ont bien fait comprendre que je faisais partie d’une minorité d’universitaires qui affichaient son appartenance religieuse sans complexe. C’est en intégrant le milieu universitaire que j’ai fini par comprendre le rapport négatif qu’a toujours l’université avec la religion. Au Québec surtout, il semble que plusieurs ne peuvent concevoir qu’une personne croyante soit capable de rationalité, ou encore « d’intelligence ». Malheureusement, en milieu universitaire, j’ai appris sur ces préjugés à saveur islamophobe à mes dépens, au dépens de ma santé mentale. 

La bonne nouvelle aujourd’hui est que j’arrive à me préserver dans les réseaux universitaires tout en formant la relève noire en matière de réelle ouverture d’esprit. Chose faisant la preuve qu’une femme peut être porteuse de croyances religieuses tout en participant à la fois à l’avancement des savoirs et à la mobilisation communautaire.

 

Dans une situation aussi délicate que celle que nous vivons actuellement (Covid-19), aimerais-tu partager une leçon de vie essentielle que tu as pu en tirer, pour le moment?

J’ai appris avec le temps que savoir demander de l’aide aux personnes appropriées assainit mon quotidien. J’ai grandi dans une fratrie au sein de laquelle j’étais la seule fille/femme. J’ai donc longtemps été perçue comme la personne qui se devait de régler tous les défis rencontrés par la famille, sans forcément demander du soutien. Aujourd’hui, j’apprends doucement mais sûrement à demander de l’aide lorsque j’en ai besoin.

 Être forte ne veut pas toujours dire se tenir seule dans l’adversité. En période Covid-19 spécialement, savoir reconnaître ses propres limites et demander du soutien aux personnes appropriées reste très important.

Fama : “Merci Idil !”

Fama
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Founder and Editor in Chief

I'm a thirty something years-old woman trying to inspire other women and get inspired myself.